rencontre avec Maryse Vuillermet

Nous avons retrouvé Maryse Vuillermet dans le train du retour, à Paris, gare de Lyon, dimanche 17 janvier, après un samedi riche, aux 10 ans de Remue.net.

– D’où revenez-vous Maryse ?

Je reviens de Paris, un week-end riche ; d’abord le musée Des lettres et des manuscrits boulevard Saint-Germain et l’exposition Romain Gary, ses manuscrits,  ses réécritures, ses lettres ; c’est très touchant de se trouver au cœur d’un travail d’écriture. Et plus tard,  dans le week-end, ton ami nous a raconté que Romain Gary  avait acheté,  avant de se tirer une balle dans la tête, sa dernière robe de chambre rouge au magasin Aux  laines écossaises situé juste devant l’entrée du musée actuel. Il habitait Rue du Bac,  une rue que j’ai arpentée dans les deux sens samedi parce que je ne trouvais pas le musée. Marcher dans Paris est très troublant, on marche au milieu des fantômes des grands hommes qui ont vécu là, on passe devant le Flore, les deux magots, on est au milieu d’eux.

Après, j’ai assisté aux Dix ans de remue.net, un site de création littéraire que je visite depuis longtemps et je voulais voir en chair et en os tous ces écrivains que je lis.

J’ai été frappée de leur évidente complicité et camaraderie mais un peu jalouse, j’aurais voulu faire davantage partie de leur groupe.
- Où allez-vous ?

Je rentre à Lyon où j’enseigne à l’IUT de Lyon 1. J’enseigne l’expression-communication à des étudiants en informatique après avoir longtemps enseigné en lycée. Je suis également chercheuse en littérature dans l’équipe Passages de Lyon 2. Ma spécialité est la représentation du travail. Depuis ma thèse sur Claire Etcherelli, je cherche et examine les romans du XX° qui traitent de ce thème. Mes derniers coups de cœur sont Centrale de Elizabeth Fillol et Retour aux mots sauvages de Thierry Beinstingel que j’ai rencontré justement aux dix ans de remue. net. C’est un compagnon de route de ce groupe. Je participe aussi à une autre recherche en littérature jeunesse

– Que retenez-vous de cette semaine ?

Je retiens de ma semaine la chute de Ben Ali. J’ai enseigné trois ans en Algérie, j’ai beaucoup voyagé dans tout le Maghreb, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour ces peuples. Et encore la semaine dernière, les journalistes disaient qu’il n’y avait pas de relève,  pas d’opposition capable de  remplacer Ben Ali. Vendredi,  je n’ai pas eu d’informations et j’ai appris sa chute sur l’écran de la médiathèque Marguerire Duras, samedi, aux dix ans de remue.net.  Pendant toutes les lectures, sur l’écran,  on nous passait les sites ou blogs des écrivains, leurs photos… et à un moment donné,  on était sur le site du Monde.fr et la nouvelle m’est apparue.  Au début, j’ai cru à un canular et j’ai demandé à ma voisine,  elle m’a dit, oui, il est parti, il s’est enfui,  depuis hier. Ma joie était profonde.  Et je pense que tous les dictateurs finissent en exil ou tués, lynchés comme Mussolini et pourtant,  ils continuent,  ça ne leur sert jamais de leçon !

– Vous êtes présidente de la Cité du livre à St Claude, pour quoi ?

Je suis présidente d’une association qui essaye de faire vivre le livre en l’incarnant dans un lieu ; Saint-Claude a une longue histoire liée au livre, prestigieuse bibliothèque de l’Abbaye,   bibliothèques populaires,  bibliothèque de la Maison du Peuple. Et elle a un site géographique  remarquable décrit par tous les écrivains voyageurs. Aujourd’hui,  des rues se vident de leurs petits commerces, pourquoi ne pas faire comme à Cuisery ou à Bécherel,  utiliser ces boutiques, attirer des bouquinistes ou d’autres professionnels du livre. Nous avons  déjà créé des foires aux livres rue Mercière tout l’été  2010 et nous continuerons l’été prochain. Nous espérons  aider à l’ouverture prochaine d’une première bouquinerie. Et nous avons beaucoup d’autres idées et le soutien précieux de la municipalité.

– Quel est votre mot/ expression préféré ? Vos lectures du moment ?
Le livre qui vous a marqué ?

Mon mot préféré est rasséréner,  j’aime sa longueur un peu précieuse, ses sonorités répétitives et son sens rendre la sérénité perdue.

En ce moment, je relis Colette, on m’a offert à Noël,  le tome 4 de la Pléiade, je me nourris d’elle, je la lis  en dégustant, c’est un monde de sensations, de personnages de femmes fortes et libres,  bien reliées  au monde, terriennes,  épicuriennes, je me régale. J’ai découvert aussi récemment le poète Patrick Laupin, Des visages et des voix, une très  belle poésie puissante et fluide, un univers que j’aime, les damnés de la terre, ses parents éteint mineurs cévenols. Je l’ai rencontré  en atelier d’écriture, c’est aussi un homme d’une profonde simplicité et humanité.

Un autre livre m’a marqué cette année c’est celui d’Ahmed Kalouaz, Avec tes mains, un auteur Grenoblois qui a parlé  du silence des émigrés algériens, étrangers à la France,  à la langue et à leurs  propres enfants. Ils ont travaillé toute leur vie dans le silence.

– Vous vous rêviez écrivain petite ? Qu’est-ce qui vous a tournée vers les mots ?

Non, je ne me rêvais pas écrivain mais je lisais. Je lisais des histoires à mes deux sœurs dans le lit le soir, je lisais tous les livres de la bibliothèque de l’école de l’Essard, plus tard,  tous ceux de la bibliothèque du lycée de filles à Saint-Claude et adolescente, j’ai commencé à écrire pour moi et au lycée, n m’a dit que mes rédactions étaient bonnes et peu à peu, très lentement, quand j’étais étudiante, j’ai commencé à m’imaginer en écrivain,  surtout en écrivain  voyageur au début.

- J’ai noté que vous aviez toujours un carnet et un crayon dans votre sac. Et un livre ?

Oui, j’ai de quoi écrire mais si j’oublie mon carnet, j’écris sur des enveloppes, des notes de courses, des factures, n’importe où.

– Ecrivez-vous d’abord au crayon, des brouillons ? Ou plus directement sur votre ordinateur ?

J’écris un premier jet à la main  et parfois le plan et, ensuite, je passe à l’ordinateur et là, forcément, je réécris. Ensuite, à un  certain stade, je fais lire à des amis lecteurs ou écrivains, je tiens compte de leurs remarques. Je recorrige.

- Quand écrivez-vous ? Et où ?

J’écris surtout le matin, très tôt, il y a une heure de grâce pour moi, quand tout le monde dort encore et que moi, je vis intensément, assise à mon bureau, dans un autre monde.

– Passons (re-passons) à Remue. Sur Remue plus précisément, quels auteurs conseillez-vous ?

Je conseille François Bon, tout surtout Mécanique, Sylvie Gracia Un été de chien, et Beinstingel dont j’ai déjà parlé, Central, et Retour aux mots sauvages.

– Vous lisez numérique, pensez-vous que le livre imprimé est voué à disparaître, comme certains l’annoncent ?

Non, je ne laisse pas les livres imprimés. Rien n’a jamais tué le livre imprimé, ni la radio, ni la télévision,  ni l’ordinateur. Les deux formes vont coexister encore longtemps. J’apprécie la rapidité, le prix et la facilité  de création du livre numérique. J’aime beaucoup aussi toutes les expérimentations d’écritures collectives,  d’écriture sur blogs, tous les échanges que ça permet mais un beau livre est aussi un bel objet comme une poterie, comme un dessin, comme un tapis, un bijou, une fleur brodée…

– Et en guise de mots de la fin..

J’écris de plus en plus, et, en tant qu’enseignante et que chercheur,  j’ai toujours été plongée dans le monde du livre.  L’institution   du livre avec ses éditeurs, ses  librairies,  ses Salons, ses aides, ses associations, m’est familière mais j’aime surtout la passion que suscite les livres. J’y ai rencontré des hommes et des femmes habités, littéralement,  ardents et fiers, ne se décourageant jamais,   malgré le peu de reconnaissance qu’on leur accorde. L’écrivain n’est plus un solitaire, il aspire à partager  sa belle passion avec des ateliers d’écriture,  des lectures, des rencontres. L’écrivain  est dans la cité. Elle a besoin de lui.

ps : cette interview  paraît ce jour dans L’Indépendant.

Cette entrée a été publiée dans Babel, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>